
La Presse — Si on trace une ligne droite de la colline de la Byrsa au sommet du Sra Ouertèn, la distance qui les sépare serait de moins d’une centaine de kilomètres. Autant dire un saut de puce. Ou presque. Une promenade pour se rendre de l’un à l’autre, surtout en cette saison, si belle tout le long du parcours hors les zones urbaines, elles, il est vrai, si moches. Mais, me diriez-vous, où se trouve déjà le Sra Ouertèn ? Il est vrai que la plupart d’entre nous ne sauraient localiser cet endroit sur une carte. D’autant qu’il n’est pour ainsi dire mentionné nulle part. Le Sra se situe dans le gouvernorat du Kèf, délégation de Dahmani, district d’Althiburos par édit impérial romain, aujourd’hui Mdéina. Connais toujours pas ? Mais si je précise : c’est là que s’est retranché mon ami Ammar Bélghith, j’ai des chances d’être compris par plus de monde, car Ammar est l’homme qui a donné ses lettres de noblesse à l’endroit. Et ces lettres ne sont pas plus de deux : N O, soigneusement tracés à flanc de montagne sur des dizaines de mètres avec des cailloux tout blancs gros comme le poing de la résistance. No, c’est no. Ammar dénie tout droit de cité à toute forme d’exclusion, y compris sous ces latitudes si austères et si douces en même temps, si isolées et si présentes à la fois. Mais commençons par rappeler qui est Ammar Bélghith.
Une princesse malaisienne lui a ouvert les portes des mystères de l’Extrême-Orient
C’est un natif de la région de Dahmani du temps où elle s’appelait Ebba-Ksour. C’est-à-dire pas d’hier. Après le bac, il a opté pour les Beaux-Arts où il a choisi le graphisme tout en excellant dans l’expression picturale. Cela l’a conduit loin, très loin de son Ebba-Ksour natal. Dans les pays du Golfe où il a séjourné le temps d’être repéré par une princesse malaisienne qui lui a ouvert les portes des mystères de l’Extrême-Orient. Il en est revenu avec une conscience aigüe de la profondeur de ses racines. Et, aux artifices de la capitale, il a préféré l’authenticité de son terroir. Il a donc décidé de s’installer sur le lopin de terre paternel agrippé au flanc pelé du Sra. Là, un tunnel creusé dans la roche lui servira d’atelier et de… galerie d’art ! Puisant dans la conscience et l’inconscience locales, il a érigé un royaume fait de chimères qui, aujourd’hui, peuplent un espace devenu magique par l’effet d’une imagination débridée qu’il vaut mieux laisser au visiteur le soin de découvrir dans une stupéfaction et une délectation totales. Mais le monde onirique qu’il a réussi à édifier à force de bravades et de sacrifices n’a pas fait perdre à Ammar le sens des réalités ; celles d’un environnement humain cantonné dans les besoins les plus élémentaires et dont le salut ne peut provenir que de la solidarité agissante de tout un chacun. Alors, lui, l’artiste, il a décidé de mettre son art au service de cette cause. Cinq ans en arrière, Ammar a lancé « Little Beaux-Arts », une formation annuelle en dessin à l’intention des élèves des écoles primaires dispersés dans la campagne du Sra. Cette formation débute à la fin de la saison scolaire et se poursuit jusqu’à la rentrée suivante. Elle est couronnée par des « diplômes » décernés à tous les élèves, accompagnés d’un bon d’achat des fournitures scolaires auprès des libraires de la localité de Dahmani.
Les amis de Ammar se mobilisent chaque année pour assurer en début de session l’achat du matériel nécessaire à la formation et, à la rentrée, de quoi payer les libraires. En ferez-vous partie, cette année ?